mercredi 22 mars 2017

Tome 3 : CHAP. N°1 - VAMPIRES



MA TRIPLICI VITA


TRAFICS





Rien n’est nuisible dans l’Univers.
Chaque chose, chaque être vivant a son utilité. 
Du moustique piquant au serpent rampant un jour ou l’autre ils vous sauveront la vie.


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VAMPIRES 


   






Comme vous l’avez appris, j’en suis convaincu… dans le précédent chapitre sur la révolution Algérienne…








Notre départ d’Algérie à Marie et à moi s’est fait dans l’urgence. Nous commençons seulement à réaliser les situations périlleuses que nous avons vécues, ce qui augmente d’autant notre satisfaction de goûter la sécurité que nous offre notre beau pays de Suisse.


     Pour le moment c’est notre sort immédiat à tous deux qui nous préoccupe.
1° - Pas de logement, l’appartement mis à ma disposition par Tobias — vous vous rappelez, c’est mon père – est occupé par une de ses maîtresses.
2° – Je suis censé ne pas avoir un kopeck.
3° – Pas de boulot, ni l’un ni l’autre.
4° – Et… graine sur le gâteau, plutôt dans le ventre de Marie, elle est enceinte.
Notre retour, comme notre départ à l’époque, provoque du remue-ménage dans les ménages. D’autant que personne n’était au courant pour Marie.
Elle est enceinte, et nous ne sommes même pas mariés.
Tobias, lui, s’est remarié avec une comtesse française, a conservé ses deux maîtresses attitrées, des jumelles italiennes, qu’il honore tour à tour, mais présentement c’est une blonde russe sculpturale de 30 ans qui s’occupe de le distraire et qui occupe mon ancien appartement de la Rue Gauthier. Oui, je sais, je ne vous en ai jamais parlé par pudeur, mais mon père est une belle nature, comme on dit en langage posé. Autrement dit, en plus vulgaire, c’est un baiseur de première, selon son proche entourage.
Les employeurs suisse de Marie, qu’elle a laissé tomber du jour au lendemain pour me rejoindre sur les quai de Marseille, font la gueule, on peut les comprendre, j’en conviens.
Et ma maman remariée, avec ses jumeaux dizygotes, Adrian et Armel, a d’autres chats à fouetter.
Finalement, c’est quand même ma mère qui nous vient en aide en mettant à notre disposition une ancienne bâtisse rénovée qu’elle possède à Soral, un bled perdu de la campagne genevoise.
Tobias me prête pour les trajets une Hilmann, petite voiture anglaise décapotable qui a la fâcheuse tendance à se coucher facilement dans les courbes, elle se retrouvera d’ailleurs sur le toit un jour où j’ai voulu éviter un chien qui traversait la route.
Le chien est sauf, la voiture détruite et moi j’ai une épaule luxée.
Je retire discrètement sur mon compte, l’argent nécessaire pour subvenir à nos besoins immédiats.
En 3 jours, notre situation matérielle est résolue. 
Nous nous sommes installés à Soral, c’est tranquille, coquet, idéal pour se reposer.  
Reste à s’occuper de la grossesse de Marie, dont, à part son ventre rond, nous ne savons rien, et plus grave en ce qui me concerne, j’ai un sérieux souci avec mes jambes. Pas le temps de se prélasser. Direction le service des urgences de l’hôpital cantonal de Genève pour moi et une consultation à la maternité pour Marie.
À la sortie, si l’on peut dire, parce que moi, je ne sors pas, et je n’en sortirai debout sur mes deux jambes que 2 mois plus tard. Pour Marie, ça va bien, elle en est à son 4ème mois, tout semble normal, mais elle va devoir se débrouiller seule dans ce village perdu à plus de 12 km du centre ville, sans voiture, elle ne sait pas conduire. Malgré tout Marie décide de passer sa grossesse dans la demeure de campagne prêtée par ma mère.
Il reste un petit problème à régler, l’argent. Dès sa première visite, à l’hôpital, je révèle à Marie mon compte caché à numéro, sans trop m’étendre sur sa provenance. 
– Chérie, assied-toi, là sur le lit près de moi. J’ai à te parler sérieusement. D’après les médecins, je risque une embolie à tout moment, ils ne savent toujours pas ce que j’ai comme maladie. Dans 5 ou 6 mois, tu vas accoucher, nous ne sommes pas mariés et tu n’as pas d’argent. L’avenir se présente apparemment assez mal, mais rassure-toi ce n’est qu’une apparence. Approche, et écoute-moi bien, voilà, je possède une petite fortune déposée dans une banque privée de Genève. C’est un compte à numéro, je vais te donner une procuration, le nom de la banque et le n° de mon compte. Tu prélèves ce dont tu as besoin quand tu veux, je te fais confiance.
– Mais... mais pourquoi tu ne m’as jamais rien dit, quand nous avions tellement besoin d’argent au début de notre séjour à Alger.
– Marie, je ne te connaissais pas encore assez.
– Et d’où vient cet argent ?
– Ça, je ne peux pas te le dire, pour ta propre sécurité, il est préférable que tu ne le saches pas. Tiens voilà la procuration, tu te rends aujourd’hui à la banque, tu demandes à parler à M. Martin, tu lui expliques la situation. Attention, ils sont très méfiants, en cas de refus, tu lui demandes de venir me trouver ici à l’hôpital. Donne-moi ta main, je vais écrire le numéro du compte, apprends le par cœur et efface-le.
Non… Non, ne pleure pas, c’est une bonne nouvelle, non ! Je suis d’accord, c’est assez surprenant au premier abord. Allez, viens embrasse-moi, souris maintenant, OK, c’est bon. Tu reviens demain ?
– Oui, bien sûr.
Me voilà tranquillisé, quoi qu’il arrive, l’avenir de ma petite famille est assuré pour un bout de temps, je vais pouvoir me consacrer pleinement à ma guérison.
Les semaines passent, les mois également, aucune amélioration n’est constatée, l’aréopage des médecins s’arrache les cheveux, ils ne comprennent pas ce que j’ai.
Un seul symptôme un épaississement du sang alarmant. Mes jambes sont violettes et gonflées, j’ai l’interdiction de me tenir debout pour cause de phlébite profonde avec le risque de provoquer une thrombose veineuse mortelle.
Bien, qu’on m’administre des anticoagulants puissants, rien n’y fait, pas d’amélioration en vue. Je commence vraiment à désespérer et même à envisager mon décès.
Cela fait maintenant deux mois que je suis étendu dans ce lit d’hôpital, impuissant et sans espoir.
Marie en est à son 7ème mois de grossesse. Ma mère s’affole — tu te rends compte, vous n’êtes même pas mariés, tu dois peut-être, songer à te marier ici à l’hôpital, si c’est possible… je vais me renseigner auprès de la direction.
Nous en sommes là, lorsque le miracle se produit. Il faut que je vous raconte ça en détail.
Comme chaque matin, le professeur, vieux monsieur aux cheveux blancs, fait sa visite, accompagné par une dizaine d’internes qui boivent ses paroles en hochant de la tête et en prenant des notes.
Bonjour monsieur Le Wenk, comment ça va ce matin, voyons ces jambes... hummm... toujours pas d’amélioration.
Messieurs, voilà un cas intrigant de phlébite profonde qui résiste à toutes nos thérapies habituelles. Est-ce que l’un d’entre vous aurait une idée.
9 blancs et un noir en blouses blanches se penchent sur mon cas et sur mes jambes violettes.
Quelques minutes plus tard tous se relèvent l’air perplexe, sauf le toubib noir en blouse blanche qui me saisit les pieds et en examine la plante de près, arbore un large sourire de ses dents blanches éclatantes, se tourne face au grand professeur Nimbus.
« Monsieur le professeur, j’ai bien l’honneur de vous signaler chez ce monsieur ici présent, la présence d’un parasite très courant en Afrique qui se développe dans les oueds asséchés en saison sèche et qui porte le nom de Malesseria ».
– Docteur Idris je vous remercie, êtes-vous certain de votre diagnostic ? Certain monsieur le professeur.
– Connaissez-vous un traitement ?
– Malheureusement je ne connais que les traitements populaires que nous utilisons dans mon pays. Je ne pense pas qu’ils puissent être avalisés dans un hôpital universitaire comme le HUG.
Monsieur Idris, je vous demande de nous faire part de vos suggestions, nous sommes devant un cas réfractaire à l’ensemble de nos thérapies modernes. Nous vous écoutons.
Le docteur Idriss me saisit un pied, vous voyez là, vous pouvez distinguer à l’œil nu, de nombreuses macules arrondies squameuses, à limites nettes de couleur jaune. Voilà la cause, je ne sais pas si ce sont des vers ou des champignons parasites ?  Ils sont très faciles à éradiquer.
Quelqu’un parmi mes chers collègues serait-il en mesure de me procurer une cigarette allumée.
Tiens Idriss, là voilà ta cigarette, tu vas nous faire un de tes tours de magie ? Ahaaa... Sans répondre aux ricanements, Idriss me saisit le pied et pose quelques secondes le bout incandescent de la cigarette sur chaque macule. C’est presque indolore, juste un petit grésillement et une odeur de brûlé.
Voilà, Monsieur Le Wenk, à chaque apparition de ces petites taches circulaires keratineuses, vous les brulez au lance-flamme, dans une semaine vous en serez débarrassé définitivement, je suis formel. 
Cependant monsieur le professeur et messieurs mes collègues médecins ici présents, il reste un autre problème à résoudre beaucoup plus dangereux, l’épaississement du sang ou macroglobulinémie qui est généré par ce parasite.
Là également, je ne connais que ce que nous pratiquons avec succès chez nous en Afrique.
Les sangsues. En avez-vous dans ce grand hôpital moderne ?  
–Non…! 
– Monsieur le professeur, je vous demande instamment et de toute urgence de vous procurer rapidement des sangsues hospitalières. Une douzaine sur chaque jambe suffiront en une ou deux séances. 
Durant tout cet exposé pratique, personne n’a pipé mot. Maintenant nous attendons tous le verdict du grand professeur.
Monsieur le docteur Idris, toutes mes félicitations, j’avoue ma totale incompétence en soins populaires africains. Je prends note de votre intervention spectaculaire et nous allons faire immédiatement le nécessaire pour appliquer les directives dont vous nous avez fait part.
Messieurs, comme nous avons pu le constater, parfois la médecine scientifique moderne a ses limites, prenez en bien conscience, cela vous servira dans votre pratique.
Monsieur Le Wenk, je crois que vous êtes tiré d’affaire. Au revoir. Messieurs poursuivons la visite.
h
Chaque matin, j’ai droit à une chambre privée et à un paquet de cigarettes. Je commence par en fumer une avec volupté, je fais des ronds qui montent au plafond. Puis j’en rallume une autre et je me mets à la recherche de ces satanés parasites qui se planquent sous la plante de mes pieds. Tiens-en voilà un... grilllll, c’est bon il est grillé, au prochain là… griilll, touché... brûlé. Mes dessous de pieds commencent a ressembler à une zone de guerre.
– Toc... toc... oui entrez (c’est mon médecin traitant) bonjour docteur, alors ces « sucelesangs » elles arrivent. 
– Difficiles à trouver, les seuls établissements qui en possèdent sont en Pologne. Inutile de passer par la voie officielle, nous en aurions pour des mois. Heureusement nous avons une doctoresse polonaise qui travaille ici, dissidente du régime communiste, qui a un parent dans un hôpital à Gdansk. Elle a pris contact et lui a demandé de nous expédier par n’importe quel moyen les bestioles nécessaires à votre guérison. Il n’y a plus qu’à attendre, mais ne vous levez pas, c’est serait dommage de faire une thrombose maintenant.  
10 jours on passé, quand un matin Judith, mon infirmière préférée entre en coup de vent, brandissant un bocal à la main.... 
– Monsieur.... monsieur Blaise ! les voilà, elles sont arrivées. Tenez, regardez comme elles sont belles, enfin si l’on peut dire. 
Des sangsues polonaises, ça ressemble à des limaces. Gluantes... rampantes, verdâtres... pouah c’est dégeu !
– Alors, c’est pour quand la séance ?


– C’est qu’il y a un petit problème, la seule personne spécialisée dans la pose de ces bestioles, vient de partir à la retraite. La direction la recherche activement, je vous tiens au courant.
Là... j’en peux plus, les nerfs me lâchent, 3 mois et demi que ça traîne... je hurle, je pleure, je lance tout ce qui me tombe sous la main à travers la chambre. Infirmiers et infirmières accourent, me maintiennent immobile... et piquent dans le gras de la fesse.
5 minutes et je sombre dans le néant... il n’y a rien à en dire, noir, sombre, silencieux… Lorsque je me réveille, horreur, la séance a débuté, ma jambe gauche grouille de... 
– Ne regardez pas, monsieur Le Wenk, c’est préférable.
Une infirmière petite, et grassouillette, cheveux blancs coiffés en chignon et en tenue civile s’active. Elle saisit une sangsue, l’introduit dans une ventouse, frotte un emplacement libre sur ma jambe avec une solution sucrée, retourne la ventouse, quelques secondes se passent… – Aïe elle m’a piqué – la douleur s’estompe rapidement, à la suivante et ainsi de suite, jusqu’à ce que mes deux jambes, des pieds au haut des cuisses, soient recouvertes de 24 virgules trémoussantes d’un noir brillant gluant. Ah, elle a de la pratique, notre retraitée.
– C’est terminé monsieur. Bonjour, je me présente, Alice Ruchonnet, désolée de faire votre connaissance dans ces circonstances.
Je regarde le plafond, je n’ose abaisser les yeux sur mes jambes. 
– Oui. Bonjour madame Ruchonnet, et maintenant qu’est-ce qui se passe ? 
– Dans une heure, les sangsues gavées, gonflées de votre sang vont se détacher et tomber d’elles-mêmes. C’est cet instant qui importe, pour être en mesure de se détacher, elles doivent injecter un puissant anticoagulant, qui va purifier votre sang, c’est là leur raison d’être. D’ici deux jours, nous ferons une nouvelle séance, et cela sera terminé, vous allez pouvoir vous lever et marcher à nouveau.
Messieurs, mesdames, au revoir. La voilà partie d’un pas rapide, probablement prendre un tram qui la ramènera chez elle. Ça, c’est de la conscience professionnelle à l’ancienne.

Une semaine plus tard, je sortais du HUG l’hôpital universitaire de Genève. Après avoir retrouvé le docteur Idriss et l’infirmière Ruchonnet, je les ai invités chez Harry Marc, le célèbre restaurant de la rue de Carouge, en reconnaissance de leur dévouement. Sans eux… que me serait-il arrivé, je ne serais peut-être pas là pour écrire mes mémoires.


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